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Acte de création.

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Mouvement insensé de naissance à partir du néant.

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Un pas.

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Un espace envahi, un autre vidé. 

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Un tour. 

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Un tourbillon, l’air se meuve entraîné par la puissance du geste.

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Une note résonne aux tympans, un son grave, vibration réverbérée, interprétée et appropriée. Le geste réagit au rythme, l’air se déplace. Le mouvement et le son entrent en résonance, ils s’intensifient mutuellement.

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Le pied se lève, la cheville se casse, une respiration.

 

Avance.

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Pose.

 

Le mollet frémis sous l’effort du contrôle, la cuisse se gonfle. La note impérieuse se fait insistante et meurt dans un éclat de translation physique. Le poids se masse sur ce pied posé au sol, enfonçant la note dans la terre.

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Respiration.

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Déjà la note suivante naît, joyeuse, innocente, vivante. Elle jaillit dans l’air, vibration nouvelle, sans avant et sans apprêt. Elle est légère, une bulle iridescente qui envoie un arc-en-ciel dans l’espace. Un bras se lève à son tour, de l’épaule jusqu’au bout de l’index, il tremble, entre en action, prend de l’angle. Muscle après muscle, une vague électrique portée par la note les secoue, légère aussi, évanescente, propagée de lien en lien.

Le torse est droit, légèrement incliné vers l’avant, le cou se tient sans rigidité sur les épaules mobiles et joueuses. Le visage est complexe, fenêtre ouverte sur les mondes, interne et extérieur. Les yeux s’abreuvent, le nez écoute, les oreilles sentent, la bouche s’étend en un sourire.

 

La note va bientôt mourir pourtant.

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La note meurt.

 

Le mouvement se termine à l’index. Mais déjà la suivante gonfle et bourgeonne, déjà un autre muscle réagit, prêt à l’écraser dans le sol, à la transporter et la relâcher à bout de bras. Une séquence voit le jour.

 

La musique est là.

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Elle gronde, elle rugit, elle cascade de notes en torrent impétueux, forcené. Elle entraîne, elle tracte, elle provoque. Son attraction est irrésistible, le corps déjà en mouvement pulse et respire à sa merci, impuissant à lui échapper. Il s’arrache à la gravité, à l’immobilisme de la mort et lance un cri de vie, libère l’extase du geste dans le rythme sourd, dans la mélodie heureuse. Une note, une vibration en suit une autre et bientôt il marche, il écrase frénétiquement les notes dans le sol, laboureur du son, cultivateur de joie.

 

Marche. Marche. Respire. Marche. Marche.

 

Ecoute, sent, voit, approprie et libère, goûte le salé de l’effort, ressent la chaleur du mouvement.

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Bouleversement. 

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Un autre corps.

 

Indifférente à l’apparition de cette altérité, la musique continue, impose et pulse le temps inéluctable. Elle enveloppe dans son flot le duo, elle crée le liant, le fil qui les agite comme des marionnettes incapables de résister à son appel.

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Les corps se rapprochent.

 

Marche. Marche. Respire. Marche. Marche.

 

Respire.

 

Invitation. Dissymétrie.

 

Une main se pose dans une autre, une hanche en rejoint une autre. Les regards se croisent, se verrouillent. Les yeux pétillent, la musique rend fou, fou de joie. C’est un cocon protecteur, éphémère et solide.

 

Marche. Marche. Respire. Marche. Marche.

 

Respire.

 

Le rythme parcoure les corps librement de l’un à l’autre. Tous les corps lui sont liés, sont à lui l’espace de son existence. Il bat la mesure, il ordonne le mouvement, il s’écrase inlassablement dans le sol et en rejaillit en bondissant, en une folle lancée répétée, variée, changeante et familière. Les corps pulsent ensemble, avec le rythme.

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Dissymétrie. 

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Une pression en bas d’un dos, extrémité d’un geste partant du centre de gravité.

 

Invitation.

 

L’autre corps répond, le poids se déplace, le pied se lève, la jambe s’étend.

 

Avance. Ensemble.

 

Les centres communiquent, liés par le rythme. La ligne est ouverte, les vibrations s’émettent, se transmettent, transportent et actionnent.

 

Marche. Marche. Respire. Marche. Marche.

 

Respire.

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Dessin dans l’espace.

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Continuité de la musique devenue mouvement, fluidité de la chair. Echange, discussion, hésitation des corps qui se meuvent, se balancent, s’écartent, se rapprochent spontanément, avec effort, portés par un rythme dictateur, contraignant et qui se fait grille libératrice sur laquelle les corps brodent leurs émotions. Les muscles se tendent, se crispent et se décrispent. Ils vivent, l’oxygène explose et libère l’énergie pulsatile qui les animent en séquence, dessinant le mouvement, écrivant l’histoire de cette musique.

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Histoire qui se tisse l’espace d’une éternité dans les notes écrasées, le rythme bondissant, les mouvements entraînés, les pressions qui bavardent, indiquent, invitent, proposent et répondent, les sourires emportés, les yeux dans le vague, grisés de la joie de se sentir bouger, exister et vivre et de ne pas être seuls, de partager, d’engager, de toucher et de respirer en rythme, de se comprendre sans articuler.

La joie sans partage, l’extase grisante d’un mouvement arrêté brusquement, sur la brisure de la musique, simultanément, momentanément.

Le sourire jusqu’au rire de la reprise du geste lors de la renaissance jaillissante du rythme. Sensation d’envol, instant volé à la postérité, toit du monde. Reproduite à l’infini des variations, des interprétations quand l’imagination des corps décore la musique de perles et de rubis, impératrice de leurs gestes, droit de vie et de mort sur le mouvement.

Mais déjà les mesures s’affaissent, le cercle de la mélodie se referme gentiment, se resserre vers le final. L’instant se termine. Il n’y a pas de nostalgie. Les danseurs vivent dans le moment éphémère. Ils ne regrettent pas la note précédente, n’angoissent pas sur la fin de la musique.

 

Ils dansent.

 

C’est cela ce mouvement des corps, ce dialogue entraîné, ce rythme fait chair, l’expression de cette joie. Ils dansent et partagent pendant cet espace au-delà des sentiments, la sensation profonde d’être humain et vivant, de faire partie.

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Dans ce monde de silence sans parole, envahi par la musique et le rythme qui fait battre leurs cœurs, les danseurs évoluent, vivent et meurent sur la piste. Le miracle est leur renaissance sans cesse renouvelée, accouché par la musique qui règne, ornementée des expressions libres et libérés des corps physiques qui écrivent une histoire unique, fugace, instant plus que vivant aussitôt à jamais perdue dans les nimbes du temps.

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Joie du Mouvement - Interlude #1

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